Le 18 mars 1871, les Parisiens se révoltent.
C’est le début de la Commune.
Un peu partout, la foule s’en prend aux édifices publics et aux représentants de l’État.
On dresse des barricades.

L’abbé Bouché n’apprécie guère.
Il ne mâche pas se mots : "il n’y a plus de concessions à faire à cette racaille dont les folies sanglantes nous rendent la risée du monde…
Je me suis promené hier avec M. Trégaro (l'aumônier en chef, breton lui aussi), en pékin (en civil en langage de marins) dans les quartiers témoins de la victoire du peuple.
C’est d’un grotesque achevé.
Si les Prussiens n’étaient pas à quelques pas de nous, ce serait très amusant, amusant à payer sa place.
Ces bons gardes nationaux hissés sur quelques tas de pavés, l’arme au bras, l’œil au guet, mais ne voyant rien venir que des badauds qui les admirent ; faisant avec un sérieux d’âne circuler la foule qui vient voir comment que c’est fait une barricade !...
Ils vous dévisagent tous les passants d'un œil scrutateur et inquiet.
Malheur à vous si vous avez l'air d'un officier déguisé.
On détache immédiatement deux gardes à vos trousses.
C'est ce qui nous est arrivé hier, aux barricades de la place de Clichy.
Le Délégué avait pensé que nous étions peut-être des officiers qui avaient coupé leur barbe ou même des Prussiens.
Heureusement que j'avais eu la précaution de prendre mon laisser-passer de la Marine, sans quoi on nous eût flanqués au poste, et à cette heure nous gémirions sur la paille humide des cachots.

La Commune proclame la séparation de l’église et de l’État et la suppression du budget des cultes.
Monseigneur Darbois, archevêque de Paris, l'abbé Deguerry, curé de la Madeleine et trois pères jésuites sont fusillés.
Deux généraux sont exécutés.
Arrestations, condamnations se multiplient.
Le gouvernement s’enfuit de Paris.

Eugène Bouché, lui-même, est obligé de quitter Paris.
Il rentre à Rostrenen.
D’ailleurs, ses "ouailles" ont elles aussi quitté la capitale.
Les 8 et 9 mars les matelots de Cherbourg, Brest et Rochefort ont rejoint leurs ports, ceux de Toulon se sont mis en route le 15.
Au soir du 17 il ne reste plus un marin à Paris.

Paris connaît un nouveau siège, dans le cadre d’une guerre civile cette fois, et devant les yeux de l’ennemi.
Le 21 mai, les autorités reprennent la main, l’armée entre dans Paris.
La ville est déjà à feu (de nombreux bâtiments publics sont incendiés embrasant les quartiers), elle va être à sang (20 000 morts officiellement mais certains annoncent plus de 100 000).
C’est le début de la " semaine sanglante " qui va mettre fin à la Commune de Paris.
Elle aura vécu 72 jours.
L’État reprend la main.

Eugène Bouché revient à Paris. Il fait d’abord logement commun avec l’un de ses collègues, puis se trouve un appartement au 6 rue Casimir Périer, à proximité de son bureau.
La routine reprend.
En mai 1873, il est occupé aux funérailles de l’amiral Rigault de Genouilly, un ancien de la Cochinchine.

Le 31 décembre 1874, il est promu aumônier supérieur.
Dans la hiérarchie des grades, il n’y a plus qu’un seul échelon au-dessus, celui de son patron l’aumônier en chef de la marine.
Il cumule dès lors les titres honorifiques.
Il reçoit, le 21 août 1876, de Monseigneur David, évêque de Saint-Brieuc et de Tréguier, le titre de chanoine honoraire de Saint-Brieuc.
Il est déjà chanoine honoraire de Basse-Terre.
Monseigneur Trégaro, son ancien supérieur hiérarchique dans l’aumônerie de la marine, devenu évêque de Séez (Orne) lui confère également le titre de chanoine honoraire de son diocèse.

Monsieur l’aumônier supérieur fait des inspections à bord des bâtiments de l’escadre, examine le matériel du culte, s’assure du degré d’instruction religieuse des mousses et novices, se préoccupe des célébrations des messes, des prières et la visite de malades.

"Je me suis fait un devoir de visiter, tous les jours, l’hôpital du Richelieu.
Les visites à l’hôpital du bord, régulièrement faites, constituent à mon avis, l’une des fonctions les plus importantes du ministère de l’aumônier.
En dehors de la préparation aux derniers sacrements, c’est là qu’il peut le mieux voir les hommes de près (ils passent tous, plus ou moins, à l’hôpital) causer avec eux et leur donner des preuves sérieuses de l’intérêt affectueux qu’il leur porte ", écrit-il à l’amiral Courbet, commandant l’escadre.

Des réductions considérables ont été opérées dans le service religieux de la marine pour l'exercice 1877.
L'escadre d'évolutions ne compte que deux aumôniers pour 6.0000 hommes embarqués.
Et la situation va encore se dégradée.

Le 15 mai 1877, une grande partie de l’escadre était rassemblée dans la rade de Villefranche-sur-Mer lorsqu’une explosion se produisit à bord de la Revanche provoquant quantité de blessés et de morts.
Eugène Bouché est l’un des premiers à venir sur les lieux de l’accident.
Après deux heures consacrés aux premiers soins de la médecine et aux premiers secours de la religion, la Revanche est remorquée sur Toulon.

L’abbé Bouché est un vrai marin, fier de son uniforme.
Son bâtiment participe aux nombreuses fêtes et revues navales (Saint-Tropez, Villefranche…) se déroulant en Méditerranée.
Lors de l’une de ces manifestations, l’état-major de son unité est amené à présenter ses devoirs au prince royal d’Angleterre.
Les officiers du bord insistent pour que l’abbé paraisse à l’audience en habits séculiers. "Non, répond-il, ce serait mépriser, et provoquer d’autres à mépriser, l’uniforme que j’ai promis d’honorer et de faire honorer".
Les Anglais le reçurent avec grande courtoisie et le prince de Galles (le futur roi Édouard VII), lui-même, s’entretint familièrement avec lui.

Début 1878, l’aumônerie de marine est touchée par une nouvelle réorganisation, qui se traduit, économies et politique obligent, par des suppressions de postes.
Les deux aumôniers de l'escadre passent à la trappe.
L'abbé Bouché est désormais seul.
"Je suis, depuis près de deux mois, seul chargé du service de l’escadre.
J’ai trois conférences par semaine aux novices sur trois bâtiments différents, je dis deux messes le dimanche, je ne pourrais jamais m’absenter… je suis absolument esclave", écrit-il à son frère.

Mais le pire est à venir.
Le poste d’aumônier en chef disparaît et ceux d’aumôniers supérieurs (donc le sien) sont menacés.
Les journaux des ports annoncent que des deux aumôniers supérieurs, l’un le plus ancien dans le grade (en l’occurrence il s’agit de l’abbé Bouché), serait appelé au Ministère pour centraliser le service, et l’autre mis en non activité, en attendant sa retraite.
Eugène attend les décisions et fait ses comptes.
Il lui reste encore six ans de services à accomplir pour pouvoir faire valoir ses droits à la retraite.
Au taux actuel de la solde, je devrais recevoir, en non activité, 3250 francs.
En ajoutant 250 francs pour ma croix de la Légion d’Honneur (nota : 250 francs correspondent au traitement annuel), cela me constituerait des moyens d’existence honorables, constate-il.

Le 20 mai 1878, la décision tombe : tous les postes d’aumôniers supérieurs sont supprimés. Eugène Bouché est débarqué du Richelieu deux jours plus tard et placé en non activité par suppression d’emploi.
Il se retire dans sa ville bien-aimée : Rostrenen.

Désormais, lui qui assumait de hautes responsabilités, qui était dans la lumière, n’exerce plus, au mieux, qu’une fonction de prêtre, et encore à titre auxiliaire, dans sa ville natale.
Il rentre dans le rang, dans l’ombre.

Sac à terre.
Est-ce la fin de l'aventure du "marin de Dieu" ?

Monseigneur Belouino, plus tard, lors des obsèques de Eugène Bouché, dans son oraison funèbre dira : "Souvent, lorsque la Providence veut élever un homme à de grandes destinées, elle le fait entrer dans l’ombre où il achèvera de mûrir, dans une sorte de solitude, au sein de laquelle l’âme recueillera les données de son expérience, et multipliera ses énergies pour le Bien.
Jean-Baptiste resta au désert jusqu’au jour de sa manifestation à Israël… ".

Eugène entre dans l'ombre et si l'on croit Monseigneur Belouino c'est un signe de la Providence lorsqu'elle veut élever un homme à une grandes destinée.
Alors combien de temps rester-il au désert, qu'elle destinée pour un aumônier en non activité ?

Oui mais, Eugène Bouché a une vénération particulière pour Saint Yves dont la sépulture est dans la cathédrale de Tréguier. Envers et contre tous, il refuse de siéger à Saint-Brieuc comme ses prédécesseurs et s'installe à Tréguier.

Il avait pour projet de couronner N-D de Rostrenen. Maintenant que le voilà monseigneur les portes lui sont ouvertes. Il rencontre à plusieurs reprises le pape. Léon XIII lui donne son accord.

Lors d'une visite à Rostrenen, je m'étonnais que la couronne ne correspondait pas à la description faîte par Eugène Bouché.
Mon bon monsieur, me répond mon interlocutrice, elle est bien trop précieuse, elle est dans un coffre à la banque. Celle-ci est une de piètre qualité. Une première copie avait déjà été volée.

Tous les 15 août, délaissant ses deux cathédrales de Saint-Bieuc et de Tréguier, l'évêque célèbre l'Assomption, avec toutes les pompes de l'office pontifical, dans celle qu'il appelle sa troisième cathédrale : l'église de Rostrenen.

Une cathédrale est une église, même petite, où l'on trouve une cathèdre, c'est à dire la chaise de l'évêque. Autrefois, lorsqu'une autorité voulait exercer sa fonction, elle devait s'asseoir sur un siège spécialement destiné à cela, par exemple, le roi sur son trône.
On peut toujours voir la cathèdre de monseigneur Bouché à Rostrenen.Elle porte ses armoiries.

Le cénotaphe comprend deux parties distinctes : le sarcophage et l'édicule qui l'entoure et le surmonte.


Sur la table supérieure du sarcophage en granit poli est couchée la statue de saint Yves soutenue par deux anges.
Quatorze statues décorent les quatre faces latérales de ce sarcophage et représentent des personnages ayant compté dans la vie du saint (ses parents, des gens qu'il avait recueillis, des notables...)

et notamment le duc Jean V (couronné), qui édifia le premier tombeau détruit lors de la Révolution, et portant la maquette du nouveau tombeau à la main : monseigneur Bouché.

Ha pa vo'nn he zao, vo eur pardon kaer
oll iskibien Breiz e barz Landreguer
Et quand le tombeau sera debout, il y aura un beau pardon
tous les évêques de Bretagne seront à Tréguier
fredonnait en Breton, monseigneur Bouché.

(à suivre et pour finir : l'enfeu de monseigneur Bouché)

Monseigneur Bouché avait à cœur d'apporter son soutien à tout ce qui pouvait contribuer à fortifier l'image et l'expansion de l'église (aide aux missionnaires, par exemple). Il avait le souci du recrutement et de la qualité de son clergé. Il dote les écoles religieuses des meilleurs professeurs.

Il aimait la Bretagne, en connaissait son histoire, ses héros, ses chantres. Il avait plein de projets pour les sortir de l'ombre, leur dresser des monuments (comme la stèle en l'honneur de l'historien bénédictin dom Lobineau à Saint-Jacut-de-la mer).

Il ne verra pas, hélas, la fin des chantiers qu'il a lancé. Il ne couronnera pas personnellement ND de Rostrenen et n'inaugurera pas le tombeau de saint-Yves.

Le 21 mai 1888, lors d'une visite pastorale (Confirmation) il est frappé par une attaque l'obligeant à rentrer précipitamment en son palais épiscopal. Les maux contractés en Cochinchine, et dont il souffrait depuis des années, n'y sont sans doute pas étrangers.
Le 4 juin 1888, à cinq heures et demie du soir, monseigneur Eugène Bouché, selon la formule consacrée, rend son âme à Dieu.

Des voix s'élèvent pour que l'évêque soit inhumé près du tombeau de Saint-Yves, à Tréguier. Si de son vivant, il pouvait bousculer les traditions, il ne peut plus. Il sera inhumé, comme ses prédécesseurs, dans la cathédrale de Saint-Brieuc.
Le corbillard tiré par les deux chevaux du regretté prélat se met en route, quitte Tréguier à 8h30 et arrive à Saint-Brieuc à 17h15.

Le tombeau de monseigneur Bouché dans la cathédrale de Saint-Brieuc.
Détail

Sur la plaque tombale, on aperçoit les armoiries du défunt
On y trouve le buste couronnée de ND de Rostrenen, les ancres de marine de "sa chère aumônerie de marine", la croix de la légion d'honneur qu'il avait tant espérée, la devise Pro Deo pro Patria, in Charitate et in Pace (pour Dieu et pour la Patrie, dans la Charité et la Paix)