Dans la page 16 de ce post, par le message 155, je vous racontais mon arrivée à Pont-Réan dans la matinée du 14 février 1950 qui fut suivie par une mémorable douche dans l'après-midi.
Voici donc une suite, et beaucoup s'y reconnaîtrons, même si cela ne s'est pas passé le même jour..
- Spoiler:
- Le lendemain, le 15 février, ce fut la coupe de cheveux réglementaire. En ce temps-là, la mode n’était pas aux cheveux presque ras, mais généralement assez fournis et seulement un peu dégagé derrière et bien peu autour des oreilles. C’est dire que les deux coiffeurs venus de Saigon, arborant un sourire ironique, vont s’en faire une joie et tailler pendant deux jours, court devant et ras derrière, comme on disait. La coupe de cheveux Pont-Réan est bien connue, elle est la même sur toutes les photos tirées pendant ces années-là et nous montrent ses caractéristiques. Rien qu’à voir ces clichés on dit : c’est à Pont-ReanAndré Pilon
Nous formons donc dans cette partie de Pont-Rean, la compagnie d’incorporation ou nous passerons toutes sortes de formalités pour nous admettre ou nous refuser dans la marine. Après avoir satisfait à ces différents tests médicaux de contrôle de l’instruction, contrôle de valeur sportive, nous formerons la compagnie Duquesne qui sera forte d’une centaine d’apprentis marins, une vingtaine ayant été renvoyé pour insuffisance diverses. Nous allons commencer à apprendre à devenir marins. Il est vrai qu’il y en a qui ne connaissent vraiment rien du tout, même pas faire une couchette. Nos instructeurs sont devenus sympa après les coups de gueule des premiers jours et il leur faut de la patience pour apprendre à certains à se servir d’un balai par exemple. Longtemps plus tard, un camarade, adjudant-chef de la Légion Etrangère, m’expliquera que des recrues venant des pays chauds, comme du Moyen-Orient ou d’Afrique, ne savaient pas faire un nœud de lacet de chaussures, n’en ayant jamais portés, chaussés de tong qu’ils avaient été toute leur vie.
Au bout de trois jours, on nous délivra une brosse en chiendent, un savon de Marseille et une musette pour y mettre le linge sale. Nous nous rendîmes au lavoir, et là, il fallut apprendre à laver, le tricot et le caleçon. C’est un souvenir marquant car personne ne savait comment faire pour laver du linge, et moi non plus du reste, dans ma campagne natale j’avais fait bien des choses pratiques, mais jamais cela. C’est le second-maître l’H. qui me montra à laver mon tricot rayé sans me servir de la brosse. Sa démonstration était bien simple et bien pratique et j’ai toujours fait comme il me montra ce jour-là. J’ai souvent pensé à lui par la suite.
Pendant deux semaines nous fûmes coiffés du bonnet mais sans ruban légende, alors on nous le remit et il y eut bien sûr une séance de couture pour fixer ce ruban sur le bonnet. Là, ce ne fut pas facile, car bien entendu, presque personne ne savait coudre et puis il fallait bien placer ce ruban dont l’inscription était « Marine Nationale » bien centré par rapport à l’ancre, l’un des mots étant plus long que l’autre ; les instructeurs nous donnaient quelques repères. A moi, c’est un bouton qui disparut de mon caban. J’ai pensé qu’il m’avait été volé, car des anciens de mon village m’avait dit : pendant mon service militaire, quand on me volait un bouton sur ma capote, et bien j’en volais un autre ailleurs… Toujours est-il que, ayant obtenu un bouton, par un gradé peut-être, il me fallut le coudre et c’est mon voisin du lit au-dessus de moi, qui m’apprit à le faire. Ce gars de Château-Gontier, bien prévoyant, avait apporté avec lui petite une trousse à couture avec fils et aiguilles et il savait bien coudre.
Nous avons commencé aussi l’apprentissage du chant ; cela se passait dans le lavoir, il y avait une bonne résonnance dans de bout d’univers plein de bacc à eau de tuyaux et de robinet. Là, nous apprîmes pour commencer : Hé ! Garçon, et puis les Corsaires.
A chacun, il fut demandé quels sports il avait pratiqué afin de les orienter vers le service sport s’ils étaient brillants. Le fait est qu’il n’y avait guère de sportifs parmi nous. Il y avait un boxeur parisien, à voir son nez épaté et écrasé, on l’avait déjà deviné ; il y avait un coureur cycliste qui venait du Nord ; deux ou trois brillaient en course à pied et autant en foot. L’un d’eux rentra dans l’équipe du CFM. Moi, n’ayant jamais fait de sport, comme beaucoup d’autres qui travaillaient depuis plusieurs années, nous ne brillâmes en rien.
A partir du troisième jour, l’emploi du temps commença par le sport. J’affectionnais particulièrement les grimper à la corde, avec seulement les bras, et chaque jour je constatais du progrès. J’appris aussi à lancer le poids de cinq kilos. Tout cela était nouveau pour moi. Ayant été au travail à treize ans je n’avais pas pu pratiquer quelque sport que ce soit.
A la fin du mois, avant de passer de Tahiti à Saigon, nous fîmes ce que l’on appelait les performances sportives ; personnellement à part la corde, j’étais quasi nul, en fait de performances c’était raté. Par contre à l’étonnement de tout le monde, instructeurs comme apprentis, je soulevai le maximum de gueuse de 30 kilos, soit 40 fois, pendant que les autres se bornaient à 5, 8, 12 et rarement 15.
Et puis, il y eut, au bout d’une dizaine de jours, la séance redoutée des piqûres. Nous en parlions chaque jour entre nous, apeurés ; et nous voyions arriver avec effroi la date fatidique. Maintenant, toutes les maladies ou presque et depuis la plus tendre enfance sont soignées à tour de bras avec des piqûres et, à part les très jeunes enfants, personne n’a plus peur de ça. Jadis ce n’était pas pareil et des piqûres, bien peu parmi nous en avaient reçus au moment de l’incorporation au CFM.
Nous en avions une peur bleue et on en a vu plusieurs qui sont tombés dans les pommes avant d’y passer, rien qu’en voyant la seringue ou bien le matelot « armé » de son ustensile qui jouait, bien sûr, au matamore, exprès pour nous épouvanter. Personnellement, je n’en menais pas large.
Les gradés nous disaient que ça faisait grand mal, que nous aurions de grosses douleurs à l’épaule pendant trois jours, et c’était vrai ; et puis, comme un châtiment, il ne faudrait pas manger le soir même, tout cela vous sapait le moral, et faire sauter un repas, on n’a jamais vu ça à dix-huit ans ! Il est vrai que sur la centaine d’apprentis, plusieurs furent malades et conduits à l’infirmerie. Cette séquence des piqûres reste bien inscrite pour tous dans la panoplie des souvenirs.
En fin de mois, la compagnie Duquesne change de Camp et s’en va loger dans la baraque Monge. Ici comme en haut, à Tahiti, ce sont des baraques en bois, chauffées d’un ou deux poêles en ces jours d’hiver, mais un hiver breton doux qui ne sera jamais difficile à supporter en ce début de mars. Un petit jardinet délaissé à cette époque de l’année la borde en façade.
Le personnel instructeur est nouveau pour nous. Ceux d’en haut, y sont restés, attendant un nouveau contingent. Après avoir occupé les places de couchage qui nous sont attribuées, on nous remet un petit livre qui sera la base de tout ce que nous allons apprendre ici : Le Manuel des Recrues. En le feuilletant on se rend compte que tout ce qui est imprimé dedans est nouveau pour nous, ce sont les bases de ce que nous apprendrons pour devenir des marins. C’est un changement de mode de vie, un changement de culture, un changement de vocabulaire qu’il faudra obligatoirement et rapidement assimiler. Mais nous nous rendrons compte que cela viendra tout seul. Comme, il n’y a pas de « monsieur » dans la marine, déjà on ne dit plus jamais monsieur à nos instructeurs, on ne dira plus jamais une ficelle, ce sera un bout ou un autre nom plus savant selon l’usage de ce cordage. Les grades, sont su en quittant Tahiti : quartier-maître, second maître, maître ; tous ces gens-la ont des galons en oblique sur les manches, les premiers sont rouges, les autres sont dorés. Et puis il y avait un premier-maître, pour nous avec nos deux semaines de marine, le premier maître est déjà une personnalité et on n’a pas été au-delà. Donc à la compagnie Duquesne nous retrouvons les grades identiques avec en plus un capitaine de compagnie, officier des équipages de première classe, c’est le grade qu’il porte et je me rappelle bien son nom : monsieur Gabillard.
Ce que nous avons à apprendre pour devenir des marins est contenu en deux rubriques : la partie militaire qui fera de nous de vrais guerriers ; la partie maritime qui nous transformera en reels marins. Nous avons, nous ont dit nos instructeurs, un mois et demi pour dégrossir tout cela, mais on se rend compte que c’est bien touffu. Ensuite, il nous faudra encore un mois et demi pour apprendre à devenir des matelots d’équipage, appellation normale des engagés de deux ans que nous sommes, appellation des « aides spécialistes », comme m’avait baptisé le quartier-maître du bureau d’engagement de la caserne de la Pépinière, à Paris. Ce stage se déroulera dans une autre compagnie avec de nouveaux éducateurs.
Nous irons apprendre à faire de la voile, c’est la base de la formation du marin, nous a-t-on dit. Cet entrainement se déroule sur l’étang de Belouze, tout près du village de Baulon, environ à 20 kilomètres à l’ouest de Pont-Rean, où nous nous rendions dans des camions empestant l’essence mal digérée et dont les gaz nos asphyxiaient à moitié. Pendant que les canots dans lesquels nous étions embarqués naviguaient, les gradés nous donnaient les noms de tous les éléments de ce matériel, nouveau pour nous, et effectivement il est bien plus facile à apprendre en pratiquant, qu’en salle de cours et sur papier. Excepté certains Bretons de notre contingent, nous découvrions tous ce genre d’activité. Il y en avait des choses à apprendre ! A bord d’une embarcation, il y en a des noms d’objets et des termes à se mettre dans la tête : accastillage, bôme, drome, tribord, bâbord, étrave, grand mât, mât d’artimon, drisse, écoute, tribord amure, bâbord amure, serrer le vent, qui peut refuser, qui parfois adonne, au plus près, au grand largue etc… Et puis le nom des quatre voiles qu’elle possédait : grand’voile, misaine, foc, tape-cul ; Ah ! ce dernier mot, plutôt rigolo, tout le monde l’a appris du premier coup. A l’arrière du gros canot flotte le pavillon national, que plus personne parmi nous appelle : le drapeau. Eh oui, être homme de mer, c’est tout un métier et qui n’a plus rien à voir avec la terre que nous voyons à distance maintenant que notre canot file sur le lac de Baulon - comme le quartier-maître l’a nommé -, poussé par le vent d’ouest de Bretagne. Nous découvrons également que, jusqu’à un certain point de l’axe d’où souffle le vent, le canot file contre lui ; en voilà une chose étrange ! on avance contre le vent. Et alors, à ce moment, le vent semble plus fort, l’eau gicle de partout et l’on est vite mouillé. Mais l’instructeur, le quartier-maître le Gratiet, ne nous a pas expliqué comment ce phénomène, étrange pour moi, se produit. Je ne l’apprendrai que plus tard.
L’état-major de Pont-Rean était logé dans un petit château dans lequel je n’ai jamais mis les pieds. Au pied de cette bâtisse se trouvaient des douves, et là le samedi et le dimanche nous apprenions à godiller dans un youyou. Godiller, ce n’est pas inné : c’est faire des huit avec un aviron qui prend appui dans une encoche arrondie sur le tableau arrière de la barcasse, le matelot godillant étant généralement debout dans le youyou. Cela semblait également incroyable pour moi, mais j’y suis arrivé du premier coup. Par contre, je me suis fait traité de biffin ; être ainsi considéré, c’est une sorte d’offense abaissante pour la personne qui la reçoit. En effet, à la voilerie, non loin du château, où il fallait se procurer cet aviron, j’ai demandé une « godille »,
- un aviron, biffin ! me signala le responsable de ce matériel, qui avait peut-être quinze jours de marine de plus que moi.
Dernière édition par PILON le Dim 2 Jan 2011 - 17:04, édité 2 fois